La tentation serait de répondre directement à la question posée par la négative : non, il n’y a pas (suffisamment) d’ordinateurs dans les classes en Afrique. Pourtant, certains témoignages l’attestent : quand il y a des machines en état de marche, le problème n’est pas résolu pour autant.
La question était un peu abrupte, certains ont choisi d’y répondre sans détour. Y-a-t-il un ordinateur dans la classe ? « Je répondrai par la négation », nous écrit Mian. Enseignant-chercheur à l'école normale supérieure d'Abidjan, il peut même nous « certifier que notre institution ne dispose pas d'ordinateur dans les salles. » Lurhielle précise quant à elle depuis le Bénin que « tout près de Cotonou, vous rencontrerez bien des personnes qui vous demanderont : un ordinateur qu'est-ce que c'est ? ». « J’ai même terminé mon cycle secondaire sans avoir touché la souris. Quel drame ! », se désole Ntumba, « et pourtant les nouvelles technologies de la communication sont avantageuses et importantes car sans bibliothèque physique, on pourrait se servir des informations en ligne et quel espoir pour le Congo de demain ! »
Même si ces témoignages n’ont aucune valeur statistique et que l’on sait bien qu’il existe – quand même - des programmes et des projets d’introduction des technologies de l’Information dans les écoles africaines, ils reflètent le désarroi de tout une partie de la jeunesse africaine francophone qui a parfaitement compris l’enjeu de l’informatique et de l’internet dans le monde d’aujourd’hui, mais n’y a pas accès.
Comme un lézard dans la maison
Jeune Ivoirien, Salomon sait bien « qu’il n’y pas de poste à pourvoir sans qu'il y ait mention de connaissance des TIC. Pourquoi donc en priver les Africains ? » s’interroge-t-il. Quand Patrick de Kinshasa, en République Démocratique du Congo, compare l’ordinateur à …« un lézard qui accède dans des maisons sans l'autorisation des propriétaires et s'introduit forcément dans la vie de quiconque se lance sur la voix du développement». Et si « tout manque pour l'éducation », comme le dit Maiga du Mouvement Alternatif Africain, « ce n'est pas une raison de ne pas évoquer la question de l'informatique, elle est capitale. » Aujourd’hui avec l’ordinateur, hier via la télévision ou la radio, la tentation de trouver des solutions « technologiques » aux défaillances du système éducatif en Afrique existe depuis des années, rappelle le professeur Jacques Wallet. « La télévision éducative nigérienne existait avant que la télévision publique n’émette », explique ce spécialiste de la question qui coordonne un réseau de 450 chercheurs à travers le monde sur cette problématique, le Resafad. Pourtant, la question n’a pas trouvé de réponse simple et les plus grands projets assortis des budgets les plus conséquents n’ont parfois rien donné.
Ces échecs financiers ne sont pas passés inaperçus dans des pays où le seul fait d’envoyer les enfants à l’école relève parfois du défi. Cultivateur au Cameroun, Michel « refuse qu'on continue à se faire des sous sur son dos sous le prétexte de le faire entrer dans la "e-modernité" par la grande porte du petit écran fascinant des ordinateurs ». Cette question du « détournement » des fonds alloués à l’introduction des TIC a également été posée par Atsu, jeune Togolais résidant à Dakar. Didier Oillo est en charge des innovations via les nouvelles technologies dans l’enseignement au sein de l’Agence Universitaire de la Francophonie, il lui a répondu.
Jusqu’à quel point les programmes de soutien aux nouvelles technologies relèvent-ils de la théorie dans l’enseignement supérieur ? Autrement dit, y-a-t-il des ordinateurs dans les amphithéâtres en Afrique ? La réponse de Didier Oillo.
Pas de données officielles sur la question
Pour essayer de trouver des données chiffrées, nous nous sommes adressés à l’Unesco. Virginie Torrens y travaille en tant que responsable des "TIC" au Bureau Régional de l’Education pour l’Afrique (BREDA)
Virginie Torrens
Responsable des Technologies de l'information et de la communication pour la BREDA
« Je ne veux pas m'aventurer dans les données chiffrées mais il y a un fort pourcentage de gens qui vont dans des cybercafés. »
Pourtant, même installés au sein des campus universitaires, les cyber cafés ne répondent pas à la demande : « sept ordinateurs payants », c’est ce dont dispose Aboubacar... avec « les 8 600 autres étudiants guinéens de son université.» Qu’importe, depuis Madagascar, Jean-Loup nous écrivait il y a quelques jours qu’en tant qu’enseignant il avait « pris l'option d'enseigner et de transmettre les informations à travers le net et, oh joie ! … grâce au cybercafé de la ville, mes étudiants (120 au total) ont pu recevoir de la documentation et les préalables conceptuels et théoriques pour mon cours d'organisation d'entreprises. »
La fracture énergétique, une réalité incontournable
« Je pense que votre nouveau thème de discussion repasse sur certains aspects déjà évoqués lors de la discussion sur le Prix de l’internet en Afrique », remarque Abani depuis Le Niger. C’est vrai. Impossible de parler d’ordinateur à l’école sans évoquer certains problèmes majeurs et récurrents que Blaise résume dans un message venu du Burundi : « D'abord, l'électricité permanente touche moins de 10 % de la population en général, le groupe électrogène capable de faire fonctionner un seul ordinateur consomme par jour 4 fois plus que le salaire journalier d'une famille africaine, les pièces de rechanges pour les TIC sont très chères, importées et piratées, les techniciens informatiques inconscients profitent de l'ignorance africaine des TIC pour taxer les prix d'installation et de réparation très élevés, les réseaux de communication TIC et téléphonique couvrent parfois moins de 1/10 du territoire ».
Ouf ! Pourtant, il ne s’agit pas d’un coup de colère de la part d'un internaute isolé. Blaise exprime par son courriel l’avis de nombre de participants pour lesquels, comme Philippe, « sauf solution alternative et pour l'instant marginale, l'accès à l'électricité est indispensable. » Or, précise-t-il, non seulement la plupart des écoles du Burkina où il travaille n’ont pas l’électricité mais « les fortes amplitudes grillent nombre de modems et de cartes-mères » des ordinateurs.
Des ordinateurs… dans des salles fermées à clef
Et puis, au fil de la discussion, les ordinateurs que l’on cherchait apparaissent. A Zinder, au Niger où Abani est professeur, « on a bénéficié d'une salle informatique avec connexion à internet par le PNUD (Programme des Nations unies pour le Développement, ndlr) mais jusqu'a présent on en fait un usage moyen car on n'a pas d'objectifs ou de programmes précis à réaliser ». Assane, qui revient d’un séjour à Dakar affirme que son ancien lycée dispose de « plusieurs salles informatiques mais l'accès pour les élèves reste toujours difficile ». Idem à Gao, au Mali, où Maiga nous décrit des salles fermées et des « machines non installés depuis trois ans ». Voilà une problématique à laquelle on s’attendait moins, celle de ces « salles informatiques neuves dont personne ne peut exploiter les ressources, faute de formation » que l’association Biblio'Brousse , pour laquelle travaille Amandine, met en service au Burkina Faso. Une problématique résumée par le secrétaire exécutif du Fonds Mondial de Solidarité Numérique en ces termes :
Alain Clerc
Secrétaire Général du Fonds Mondial de Solidarité Numérique
« Je pense qu'il serait erroné d'acheter du matériel ici et puis de le" balancer" auprès des populations exclues de la société de l'information. »
Pourquoi y-a-t-il des ordinateurs non utilisés dans les classes en Afrique ? Pourquoi l'accès à ces salles reste « toujours difficile pour les élèves » pour reprendre l'expression d'Assane ? C’est le sujet du prochain article issu de l’enquête participative en cours sur le forum de l’Atelier des Médias.
Source: RFI